Le génie derrière #6 : DAECHWITA (AGUST D / D-2)

Avec la nouvelle de Yoongi revenant tout juste de son opération de l’épaule, je me suis dis qu’il était temps de revenir sur l’un des innombrables chefs d’œuvre que nous lui devons. Sortie en mai 2020, ‘D-2‘ est la seconde mixtape de Yoongi qui sévit ici sous le pseudonyme de AGUST D. Percutante, explosive et très honnête, ‘D-2‘ est la digne successeur de la première mixtape que notre boîte à rythme préférée qu’est Yoongi, a sorti en 2016. En tant que fan de titres à la musicalité relativement agressive, il va sans dire que mon coup de cœur se porte inexorablement sur la très dynamique et sauvage chanson titre ‘DAECHWITA‘. Bienvenue dans ce numéro des génies derrière. Un conseil ? Accrochez-vous bien.

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DISCLAIMER

Aucun des passages, aussi crus soient-ils, présents dans cet article ne sont ici présentés dans l’optique d’une incitation à la haine envers des artistes en particulier. Je ne fais ici que vous présenter MA lecture du morceau dont il est question et attends de mes lecteurs une certaine maturité et un certain degré d’intelligence lors de votre lecture. Je terminerai en vous annonçant que tout commentaire ou retour haineux, que ce soit à l’encontre du Gimbap, ou pire encore d’un artiste, sera réprimé et signalé. Bonne lecture.

DAECHWITA quoi ?

L’une des premières choses à savoir sur ce morceau aux tonalités explosives et aux paroles très crues, c’est qu’il est bourré à en mourir d’allusions et de références historiques, l’une d’entre elles se trouvant rien que dans le titre. Parce que bonne question, mais un Daechwita, c’est quoi ? Parce que laissez-moi vous dire que ce choix de titre est loin, très loin d’être anodin.

En Corée du Sud, le Daechwita a une valeur historique impressionnante et très importante. Aujourd’hui, il s’agit d’une musique militaire traditionnelle jouée lors des relèves de la garde, comme on peut en voir au Gyeongbok Palace de Séoul par exemple. Mais dans l’histoire du pays, durant la dynastie Joseon, le Daechwita était également le nom donné à la musique jouée lors des parades royales et/ou militaires, lors de l’arrivée de personnages royaux sur le champ de bataille ou encore pour signaler l’arrivée de personnalités importantes en ville. Pour faire court, le Daechwita est en Corée du Sud un symbole de grand pouvoir.

Aux vues donc de l’histoire que raconte le morceau, il n’est, bien entendu, pas anodin que celui-ci porte ce nom et qu’il commence par un extrait de Daechwita traditionnel avant de parfaitement se fondre dans des tonalités plus contemporaines issues du hip-hop. Et si vous y pensez, vous vous rendrez compte que ce fondu musical est très similaire à celui que nous avions pu relever dans un autre morceau très intéressant à analyser, j’ai nommé ‘DDAENG‘.

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Lecture du DAECHWITA by AGUST D

Je suis obligée de vous le dire, mais ‘DAECHWITA‘ est un véritable bijou, aussi bien au niveau musical qu’aux niveaux narratif et historique. Laissez moi donc vous expliquer la possible lecture du Daechwita traditionnel que nous propose ici le monstre AGUST D. La première chose à savoir sur ce morceau, c’est qu’en harmonie avec l’ensemble de la mixtape, ‘DAECHWITA‘ est un titre qui reflète à la perfection la position actuelle de Suga (Persona), AGUST D (Shadow) et Yoongi (Ego) au sein de l’industrie musicale sud-coréenne et internationale.

L’un des points culminants de ce morceau, c’est la transition très smooth entre les sons, entre autres, des kkwaenggwaris, des nabals et des nagaks, et la vibe un peu plus trap et hip-hop qui apparaît lorsque le MV passe du roi Yoongi à AGUST D. Ca peut vous paraître banal, mais le fait que le changement sur les plans visuels du MV suive le changement des tonalités musicales est tout simplement un coup de génie artistique. Voilà, c’est dit.

Le MV commence avec un plan très révélateur qui nous propose un (pas si petit que ça) sneak peak de l’ambiance générale du morceau, puisqu’on retrouve le roi Yoongi, habillé du gong ryon po, la tenue traditionnelle portée par les empereurs, assis sur son eojwa, aussi appelé le trône phénix, et qui n’est autre que le trône réservé aux héritiers directs de l’empereur, symbole de l’autorité absolue du monarque sur ses sujets, en particulier présent durant la période Joseon. Derrière ce trône on peut voir ce qu’on appelle les Ilwol Obongdo, les symboles traditionnels des empereurs de la dynastie Joseon (le soleil, la lune, les cinq montagnes, les pins et la cascade). On peut d’ailleurs imaginer que cette ère historique est au cœur même de la conceptualisation du MV dans son intégralité. Car si vous y prêtez attention, vous remarquerez que l’endroit où sont filmés les 75% du MV s’avère être l’un des monuments présents au Parc Yongin Daejanggeum, très souvent utilisé pour les tournages de dramas historiques tels que « The Emperor« .

Après nous avoir présenté le roi, la vidéo nous introduit à ce qu’on pourrait appeler la scène du marché, scène dans laquelle nous allons délibérément laisser de côté les caméos de Seokjin et Jungkook parce que les mentionner ici n’apporte rien à notre analyse, et nous concentrer sur le personnage de AGUST D, qui s’avèrera être la tête pensante à l’origine du coup d’état à venir (retenez bien cette information) et surtout, le responsable de la chute du roi Yoongi. Dès le début, il est évident que la différence entre les deux personnages est flagrante : l’un est roi, l’autre une personne lambda, l’un se bat pour lui-même, l’autre pour le peuple.

Mais ce qui rend les choses encore plus fascinantes, c’est que le MV, en accord avec le morceau, montre, au travers de la confrontation entre le roi Yoongi et AGUST D, un contraste également très marqué et très intéressant à étudier entre passé et présent.

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« Play it loud, Daechwita ! »

L’un des moments les plus puissants du morceau est sans conteste le début de celui-ci, et en particulier le premier couplet dans lequel AGUST D se présente comme quelqu’un « 종놈 출신에 왕된 놈 »/ »né esclave, devenu roi », et qui aujourd’hui a gagné le droit de s’offrir le luxe de voyage en jet privé « We so fly, we so fly 전세기로 we so fly, yeah/ On a la classe, on a la classe, en jet privé, on a la classe ». Cette phrase qui, à première vue n’a rien d’extraordinaire, est en réalité une expression argotique de style très familier souvent utilisée par les sud-coréens lorsqu’ils réussissent professionnellement et qui signifie littéralement « avoir la classe ». Mais nous irons chercher un peu plus loin que le bout de notre nez, car elle est également à elle-seule annonceuse des sujets qui vont être traités dans la suite de la chanson : Maintenant je rule the world, mais je n’ai pas oublié d’où je viens.

Par exemple, il faut savoir qu’à l’époque de la dynastie Joseon, le système des classes était très strict puisqu’il hiérarchisait et discriminait les individus en fonction de leurs castes. Il faut dire ce qui est, mais les esclaves n’étaient alors même pas considérés comme des personnes mais plutôt comme des « choses » si je puis le formuler ainsi. A cette époque, les esclaves étaient comme empêchés de pouvoir changer de classes sociales, par conséquent, pour un esclave, devenir roi était tout simplement impossible. But Yoongi did it, c’est du moins ce qu’il nous raconte.

Et si l’on pousse le bouchon un peu plus loin, on retrouve d’ailleurs une allusion similaire dans la suite du couplet : « 개천 출신에 용된 몸 »/ »Né dans les égouts, en jaillissant tel un dragon », de quoi nous faire comprendre que le passé est loin, très loin d’avoir été oublié : « 잊지마 잊지마 지난 날을 잊지마/ N’oublie pas, n’oublie pas, n’oublie pas les jours passés ». A en juger par les paroles, on pourrait penser que le roi Yoongi représente le présent, l’entité qui a réussi et qui aujourd’hui se tient au sommet, tandis que AGUST D est l’image de son passé le hantant, cette chose semblable au Shadow qui nous poursuit inlassablement sans nous laisser le moindre répit et jaillissant des basfonds de notre psyché aux moments où on s’y attend le moins.

Néanmoins, et cela va de soi, dans le MV ainsi que dans l’imaginaire collectif, l’entité que représente un empereur ou un monarque est associée à la tradition, autant dire à un temps plus ou moins révolu, alors que AGUST D apparaît dans la cour du palais à bord d’une Hyundai Grandeur Azera (ouh ouh placement de produit par le partenariat avec la marque), un modèle de voiture que l’on pouvait retrouver dans les usines entre 1986 et 1992. Mais ce qui est vraiment très intéressant, c’est que la cicatrice qui a été ajouté aux personnages du MV sur un véritable coup de tête de Yoongi, si on en croit ses propos, nous fait réaliser que le roi Yoongi et AGUST D sont en fait une seule et même personne, et là, ça devient génial.

Et je vais rendre la chose encore plus existante en vous disant qu’à la période Joseon, vous n’aviez aucune chance d’accéder au trône si vous portiez une quelconque blessure au visage. Une idée qui est reprise et romancée entre autre dans le drama « Moon Lovers ». Par conséquent, le roi Yoongi arborant cette imposante cicatrice sur le visage et conservant malgré tout sa position de roi ne fait que souligner sa puissance, mais peut également être une allusion aux cicatrices passées du groupe qui les ont poussé à devenir ce qu’ils sont aujourd’hui et à se tenir au sommet. Yoongi a lui-même dit que cette cicatrice avait été ajouté sur son idée pour une question « d’esthétisme ». Personnellement, le connaissant un petit peu en tant qu’artiste, je pense savoir que rien de ce qu’il peut faire est innocent, ce qui appuie ma lecture de cette fameuse balafre faciale. We stan a humble king.

La double histoire que nous raconte Yoongi dans ce morceau est juste phénoménale. D’un côté, le personnage du roi Yoongi est intraitable et impitoyable avec ses ennemis et est craint par le plus grand nombre car il ne suit pas les règles. Et on le sait, tout ce qui sort du moule est effrayant car considéré par la masse comme incontrôlable, ce qui est loin d’être faux dans le cas de AGUST D. Mais d’un autre côté, il est à la voix du peuple, le chef d’un mouvement qui cherche à briser les traditions avec une vision du monde plus moderne. Une sorte de Marianne sud-coréenne 2.1 si vous préférez. Dans le MV, cette dualité dans l’unité s’exprime via l’utilisation et la mention de nombreuses et différentes références à la fois culturelles et historiques.

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Historicité et Daechwita

Encore une fois, je vais passer énormément de temps sur le début du morceau, car comme dans un bon film, c’est au début que la majorité des éléments les plus percutants se mettent en place. C’est également le cas pour ce chef d’œuvre musical. « Né esclave, devenu roi ». Cette phrase, bien que très lourde de sens, peut paraître assez insignifiante à côté du reste du morceau si l’on ne prend pas le temps d’y faire vraiment attention, mais croyez-moi, sa valeur historique n’a pas de semblable, surtout que AGUST D revient dessus plus tard dans le morceau : « 미쳐버린 범 광해 flow/ Un tigre dément, Gwanghae flow ». On va revoir un peu votre culture cinématographique et surtout historique avant de continuer à creuser si vous voulez bien. Si vous êtes comme moi un(e) amoureux(se) du long-métrage, vous avez sans doute déjà regardé le film « Masquerade« , si ce n’est pas le cas je vous le conseille vivement. Ce film est un film de genre historique qui revient sur l’histoire du roi Gwanghae, le 15ème roi de la dynastie Joseon ayant régné sur le royaume de Corée de 1608 à 1623 et ayant protégé le royaume de Corée de l’invasion japonaise en 1592, l’une des plus grandes guerres de l’histoire de Corée. A l’époque de son règne, il était davantage considéré par ses semblables et ses sujets comme un despote, un tyran relativement violent et impitoyable qui a néanmoins été reconnu pour avoir mené des guerres à la place de son père (le roi Seonjo) quand celui-ci décidait de fuir le champ de bataille.

L’une des choses à savoir sur la vie du roi Gwanghae, c’est que sa mère n’était pas issue de sang noble, à vrai dire, elle était une concubine du roi Seonjo, ce qui a fait de l’ascension au trône du roi Gwanghae quelque chose loin d’être évident. Ce serait donc ses talents naturels pour le leadership et la politique qui l’auraient placé à la tête du pays à la place de son frère, héritier légitime au trône, certes, mais à l’incompétence dont il est dit qu’elle était assez spectaculaire. Malgré la dévotion de roi Gwanghae pour son pays après les multiples fuites du roi Seonjo, sa réputation au sein du pays a été affectée par un certain nombre de rumeurs que de nombreux historiens spécialistes de cette époque considèrent aujourd’hui comme fausses et infondées. C’est sur celles-ci que se fondent les bases du film « Masquerade » : sa paranoïa qui, dans le film, le contraint à faire appel à un doppelgänger, une sorte de double préfabriqué et issu de l’inconscient, afin de le protéger en certaines circonstances. Il faut savoir que le roi Gwanghae a, pendant son règne, été la victime de nombreuses tentatives de meurtre, d’empoisonnement et de coups d’état, dont il est évidemment question à la fin du morceau. Je vous avais dis de vous rappeler de cette notion.

Si on y réfléchi un peu plus en profondeur, il est donc très facile de comprendre pourquoi Yoongi a choisi de mentionner la figure du roi Gwanghae dans son morceau. Tout comme lui à ses débuts, le roi Gwanghae n’était pas naturellement destiné à se tenir au sommet, un peu comme Yoongi qui n’était pas naturellement destiné à devenir la star internationale qu’il est aujourd’hui devenu. Tous deux ont donc réussi ces exploits par la seule force et le génie de leurs talents respectifs. Ces deux « personnages » ont toujours vu leur réputation être ternie par leurs ennemies et ce peu importe s’ils cherchaient à défendre leurs « peuples » respectifs (on se souviendra de B-Free qui avait ouvertement insulté la rap line, pour « ne pas avoir su résister à la tentation de l’argent » en ‘quittant’ le monde du rap pour celui de la Kpop, et qui s’était attaqué au groupe en se moquant de leur maquillage, de leurs tenues et en les accusant de plagiat, à l’époque, de la musique de Kanye West). Tous deux ont été targué des étiquettes de tyrans ou de personnalités ne méritant, à cette époque, pas forcément d’être reconnues.

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Min Yoongi, Suga et AGUST D : le masque d’un seul et même homme

Je vais vous le dire clairement : ce qui est génial dans ce morceau, c’est que Yoongi se paie notre tête sans que nous nous en rendions compte. Nous adorons le fait qu’il se moque ouvertement de nous, et limite, nous le remercions de le faire. C’est ça son pouvoir, c’est ça le « piège » dont je vous parlais dans ma citation de son live review de ‘D-2‘ à la fin de Outro : EGO. Vous allez sûrement me demander pourquoi je vous dis ça. Et bien laissez-moi vous répondre : tout simplement car la figure du roi Yoongi ne représente en réalité que ce que l’on veut inconsciemment qu’il incarne en tant qu’artiste. Ici, il ne fait qu’agir comme le roi tyrannique que le monde veut qu’il soit, c’est en cela qu’il nous prend pour des abrutis, et on adore ça. Vous vouliez un roi fou qui décapite les sujets qui se présentent à lui avec des plaintes qu’il trouve ridicules ? (je dis plaintes car on peut voir un sinmungo (신문고), un tambour géant que les gens frappaient durant la dynastie Joseon lorsqu’ils avaient une plainte à formuler auprès du roi afin que celui-ci règle leurs problèmes) Et bien maintenant, vous l’avez : un roi qui ne tourne pas trois mille ans autour du pot et qui vous coupe la tête si vous dite blanc alors qu’il dit noir.

« 말이 안되지 내가 개라니 범으로 태어났지 적어도 너처럼 약하진 않지 / Me traiter de chiot n’a pas de sens Je suis né tigre, je ne suis pas un faible comme vous ». Bien que les gens continuent de le voir comme un chiot insignifiant n’ayant pas encore suffisamment aiguisé ses canines pour être dangereux, il n’éprouve plus le besoin de démontrer par A+B l’entité qu’il est aujourd’hui devenu aux yeux du monde, les comportements pathétiques de ses ennemis se suffisent à eux-mêmes pour le démontrer : « 좆밥들의 걍 재롱잔치 / Bande de ratés insignifiants qui essayez de montrer votre talent », « Flexing 난 없지 필요가 없지 / Frimer, je ne le fais pas, je n’en ai pas besoin ». Un rappeur sud-coréen a d’ailleurs expliqué que le choix de Yoongi de volontairement ralentir son rap lors de ce passage et voulu et réfléchi. Il écrit :

Lorsque Yoongi ralenti son rap afin d’articuler avec exagération chaque mot, il est en réalité en train de se moquer de certains idols/rappeurs qui endossent ce rôle au sein de leur groupe sans comprendre l’importance de leur position, la force de leurs mots et le monce du rap en général. C’est comme cela qu’il se les représente : aucun flow, aucun rythme, juste des mots balancés pour faire joli.

Je tiens à dire entre parenthèses que ceci n’est aucunement une incitation à la haine envers d’autres fandoms ou idols de Kpop, seulement une petite piqure de rappel à la Yoongi envers tous ceux et celles qui ne croyaient pas forcément en l’avenir du groupe à ses débuts. That’s it. Et si je n’ai pas réussi à vous convaincre, vous et moi on va fait un petit bon dans le temps et retourner en 2016, histoire qu’on se penche un peu sur « Give It To Me » : « 범으로 태어나 개처럼 살수는 없지 / Impossible de vivre comme un chien alors que je suis né tigre » (AGUST D) – « 범으로 태어났지 적어도 너처럼 약하진 않지 / Je suis né tigre, je ne suis pas un faible comme vous autre » (D-2).

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AGUST D – Flow of the tiger

Maintenant qu’on en parle, vous avez dû le remarquer, mais l’image du tigre est très récurrente pendant l’intégralité du morceau. Ce n’est pas anodin, vous le pensez bien, ce ne serait pas intéressant sinon. La symbolique qu’il représente est très importante en Corée du Sud puisque le tigre y est vu comme un symbole de courage et de fierté qui, en même temps, dégage une certaine aura emplie de supériorité qui inspire le respect mais aussi la peur. Le tigre est un animal considéré comme noble dans la culture coréenne et asiatique en général qui ne se compare en rien au chien qui lui aboie pour attirer l’attention. « 입만 산 새끼들 당장 놈의 목을 쳐 / Ces b*tards qui n’ont que de la gueule, coupez leur la tête immédiatement ». On comprend sans aucun doute ici que s’il est l’image du tigre, les chiens qu’il mentionne à répétition sont ses « ennemis », les individus qui se sont amusés à le rabaisser avant son épiphanie artistique. C’est en cela qu’il continue de se moquer d’eux avec une certaine poésie pas toujours perçue aussi facilement qu’elle le devrait si l’on connaît suffisamment bien l’univers musical et artistique de Yoongi. Se représenter en l’image du tigre implique que les chiens, ses « ennemis », se trouvent bien au-dessous du lui, c’est d’ailleurs pour cela qu’il leur marche littéralement et métaphoriquement dessus, en somme, qu’il les « tue ».

Mais vous pensez bien que je ne vais pas m’arrêter là. Faites attention aux paroles et dites-moi : Y a-t-il ne serait-ce qu’un passage lors duquel Yoongi insinue explicitement que c’est le succès qu’il rencontre aujourd’hui qu’il l’a fait devenir un tigre aux yeux des géants de l’industrie du divertissement internationale ? Je vais vous répondre, non, il n’y en a pas. Yoongi ne dit jamais que le succès l’a fait devenir un « tigre » mais qu’il est né comme tel : « 범으로 태어났지 / Je suis né tigre », ce qui signifie que contrairement à ses « ennemis », il ne leur est pas supérieur parce qu’aujourd’hui il est célèbre, il se place au-dessus d’eux tout simplement car c’est à cette position qu’il est né, car c’est ce qu’il est, sans prétention aucune bien sûr.

Il est aujourd’hui peut-être devenu un roi métaphorique, et un dragon (개천 출신에 용된 몸 / Né dans les égouts, en jaillissant tel un dragon), mais au fond, il a toujours été un « tigre », c’est ce qu’il cherche ici à nous dire de façon très imagée et très crue, ne le cachons pas. C’est d’ailleurs pour cela qu’il décide d’enfermer son passé dans un coffre à riz, un dwi-ju, une autre allusion à une histoire très connue en Corée du Sud : « 과건 뒤주에 가두고 내걸 챙겨 다 잡수쥬 / J’enferme le passé dans un coffre à riz, je suis sur le point de bouffer tout ce qui m’appartient ». Ces phrases sont certaines des plus intéressantes à étudier ici d’un point de vue historique puisque la mention du coffre à riz est une référence très connue à la fin tragique de l’héritier Sadoseja de la dynastie Joseon, exécuté par son propre père, le roi Yeongjo, après que celui-ci l’est enfermé dans un coffre à riz afin qu’il y meurt de faim. Selon l’histoire qui est aujourd’hui racontée, on dit que Sadoseja fut condamné après avoir tenté d’assassiner le fils d’un officier de haut rang. Cependant, à cette époque, la loi interdisait que les corps de personnalités de sang royal ne soient déshonorés (pas de décapitation ou de démembrement par exemple). Le roi a donc dû faire preuve de créativité afin de punir son fils tout en gardant son corps intact. La solution qu’il a trouvé a donc été de le ligoter et de l’enfermer dans un coffre à riz pendant sept jours. Et bien que tout ceci nous semble aujourd’hui barbare, figurez-vous que cette décision a sauvé la vie de l’intégralité de la famille du Prince Sadoseja, qui aurait été exécuté à ses côtés, et de conserver l’héritage familial, ce qui n’aurait pas été le cas si rien n’avait été fait.

Le fait que Yoongi se présente ici comme un roi et décide d’enfermer son passé dans un coffre à riz laisse entendre qu’il a trouvé une meilleure façon de gérer ses problèmes, une façon de faire qui exclue partiellement leur éradication complète. Souvenez-vous que l’idée derrière l’enfermement du Prince Sadoseja dans ce fameux coffre à riz n’était pas forcément de le mener à la famine jusqu’à ce qu’il en meurt, mais à le punir. L’objectif n’était au départ pas de le tuer, mais de lui donner une leçon. Bon ça a mal tourné, mais l’idée de départ n’était pas d’éliminer le problème que représentait à ce moment le Prince Sadoseja. Il en va de même avec la mention des coffres à riz dans lesquels Yoongi enferme ses problèmes passés sans pour autant sous-entendre leur éradication définitive. C’est là toute la subtilité de la chose. A l’image du Shadow, Yoongi sait que c’est son passé qui a fait de lui la personne qu’il est présentement, et qu’il doit reconnaître ses parties de lui-même afin de continuer à agir comme la personne qu’il est réellement plutôt que de continuer à jouer un rôle qui ne lui ressemble pas : cela implique donc de s’occuper de ses problèmes personnellement, de sauver ceux qui méritent de vivre, et d’anéantir ceux qui méritent de mourir.

D’une certaine manière, le MV reprend cette histoire, puisque plus ou moins comme le Prince Sadoseja, Agust D est fait prisonnier et ligoté en attente d’être jugé… ou d’être lui-même le juge, mais on verra ça un peu plus tard. Ici, nous allons plutôt nous concentrer sur l’entité même de AGUST D.

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L’entité AGUST D

Pour faire court, je ne pense pas vous apprendre grand chose en disant que le personnage clef de l’histoire que nous raconte le MV et le morceau à l’étude, c’est AGUST D dans toute sa splendeur : un homme du peuple, issu du passé qui revendique sa place dans le présent. Il est celui qui est là depuis le début, qui se tient à l’origine de la mythologie qu’a construit Yoongi et qui endosse le rôle de porte parole, fidèle représentant du peuple et des gens ordinaires auquel nous nous identifions depuis 2016 car il faut se le dire, tout l’argent, les vêtements et les objectifs que le roi se fixe dans le présent sont en réalité les résultats des rêves que AGUST D avait dans le passé « I wanna big house, big cars & big rings / Je veux une grande maison, des grosses voitures et grosses bagues » (NO MORE DREAM) – « 내가 원했던 것 옷옷 다음은 돈돈 다음은 goal goal 이 다음은 도대체 뭐지 / Les vêtements vêtements que je voulais, et puis l’argent argent, Et puis un but but, quelle est la prochaine étape maintenant ? » (DAECHWITA).

Petit passage assez marrant dans cette partie du morceau histoire de vous faire sourire, l’utilisation du mot « hyunta » (현타), un mot argotique coréen très utilisé sur Internet. Je ne saurai pas vous le traduire assez fidèlement en français, mais sachez que c’est un slang word utilisé pour décrire la sensation après l’éjaculation. Oui oui, vous avez bien lu. Une sorte de moment d’élévation, de clarté lors duquel toute pulsion sexuelle se tait, ou le calme reprend ses droits littéralement après la tempête, une sorte de très court moment de satisfaction où vous réalisez que vous avez travailler d’arrache-pied « juste pour ça ». Anyway, ce mot est originaire au départ du Japon mais est aujourd’hui très utilisé en Corée du Sud notamment lors de discussions quotidiennes en dehors de toute allusion sexuelle. Habituellement des situations où vous obtenez enfin ce que vous désiriez et que vous vous demandez : « tout ça pour ça ? ». La façon dont Yoongi utilise ce mot ici ne veut en aucun dire ce que vous pensez que ça veut dire, bande de pervers à l’esprit souillé. Ici, il veut tout simplement dire qu’il se sent « hyunta » parce qu’il possède tout ce qu’il a toujours voulu. Une lecture intéressante de cette phrase serait de considérer que Yoongi appelle ici à l’aide : les autres ne peuvent que rêver de ce que j’ai, mais maintenant que j’ai tout ce dont j’ai toujours rêvé, je m’en ennuie, mais vous ne pourrez jamais comprendre ce sentiment car vous n’avez jamais rien eu de tout cela. Mic Drop !

AGUST D explique que c’est grâce à lui et ses six compagnons, possible métaphores représentants les six autres membres de BTS que les revenus de la compagnie augmentent « 꺾인 적이 없는 매출출출출출출출 /Le chiffre d’affaire-faire-faire-faire-faire ne fait qu’augmenter », et notamment que Bang Si Hyuk danse dans son bureau « 우리 방시혁 피디는 매일 춤춤춤춤춤춤춤 / Notre Bang Sihyuk PD danse encore et encore et encore et encore ». AGUST D est le génie devenu roi qui s’est rendu compte que le temps vaut plus que l’argent « 참 감사하네 내가 천재임에 / Je suis tellement reconnaissant d’être un génie ». Respect PD-nim !

Ce qu’il est cependant très important de souligner, c’est que pour son « peuple », let’s say la communauté ARMY, AGUST D est loin d’être le tyran sans contact avec la réalité que le monde dépeint, sinon un véritable guide qui les mènera métaphoriquement à la révolution. C’est une idée que nous retrouvons à la fin du morceau : alors que AGUST D est sur le point de se faire exécuter, c’est son bourreau en personne, lui aussi un homme du peuple, qui le libère. Et là encore je vais m’en donner à cœur joie, car il y a un bon paquet de choses à dire sur ces dernières secondes.

C’est simple, la scène de clôture est littéralement suggérée depuis les premières secondes du MV, et si vous êtes observateurs, vous l’aurez vous aussi remarqué car les acteurs jouant les personnages des bourreaux sont les mêmes que ceux endossant le rôle des bouchers présents sur la place du marché. Et laissez-moi une nouvelle fois vous dire que tout ceci n’est pas une coïncidence.

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AGUST D, DAECHWITA et l’image du baekjeong

Ces personnages ont une importance capitale dans le MV car à l’époque Joseon, ils étaient considérés comme les « intouchables » de la société coréenne. Vus par le peuple comme faisant partis de la caste la plus basse de la société, ils étaient contraints à officier en tant que bouchers et bourreaux car leur activité était regardée comme étant la plus dégradante et la plus sale. Le fait que AGUST D soit ici aidé par l’un des baekjeong implique que son message est connu et reconnu de tous, qu’il atteint tout type de personnes indépendamment de leurs statuts. Peu importe qui vous êtes ou d’où vous venez, peu importe combien les gens vous détestent et vous manquent de respect, AGUST D sera votre voix, votre mini Rocky Balboa !

Encore une fois, cette référence va au-delà de l’évidence, car si vous regardez le MV et que vous portez votre attention sur tous les détails, vous remarquerez que AGUST D porte une chaîne autour du cou sur laquelle on peut voir un pendentif dont la forme représente avec exactitude les masques qui représentent aujourd’hui les baekjeong au théâtre.

Cela implique que AGUST D n’est pas seulement un leader pour la caste des « intouchables » mais qu’il s’identifie très clairement à eux, en d’autres termes, que malgré ses accomplissements, le système qu’il gouverne lui-même le considère encore comme un « intouchable » et cherche encore et toujours désespérément à le détruire.

Si dans « Interlude : Shadow » il voulait être le roi : « I want it all mine, I wanna be rich, I wanna be the king / Je veux que tout soit à moi, Je veux être riche, Je veux être le roi » (INTERLUDE : SHADOW), et que dans « Tony Montana« , il se sentait comme un scarface « I know, feel like ㅎ Tony Montana / je sais ça fait très Tony Montana » (TONY MONTANA), à présent il est devenu roi et chef « I’m a king I’m a boss 다 알잖아 내이름 / Je suis le roi, je suis le chef, Vous connaissez tous mon nom » (DAECHWITA). Et bien que les gens continuent inlassablement de l’attaquer quoi qu’il fasse cela ne change rien au fait qu’il se tient au sommet. ‘DAECHWITA‘ nous explique ici qu’en possédant toute cette puissance, il est très important, voir primordial de rester connecté à la réalité puisque, réalisant qu’il ne peut pas aller plus haut que là où il se tient déjà, AGUST D accepte le fait qu’il est temps de regarder en bas et de (re)poser ses pieds sur Terre : « 그 다음은 그래 뭘까 심히 느껴지는 현타 위가 없는 현상황 위만 보던 난 이제 걍 아래만 보다가 이대로 착지하고파 / Ouais, quelle serait la prochaine étape ? D’un coup je réalise il n’y pas plus haut que là où je me tiens à présent. Moi qui ne regardais que vers le haut jusque là j’aimerais maintenant regarder en bas et mettre pied à terre ». Nous retrouvons cette allusion lors de la scène qui précède le premier refrain, lorsque AGUST D se saisit des clefs de la voiture, puisqu’au dessus de sa tête on y trouve une affiche sur laquelle est écrit « bulbogeumok ». Ce terme est issu du « YuYu Bulbogeumok » que l’on retrouve dans le livre de Confucius, un philosophe chinois, et qui veut littéralement dire d’une personne sage qu’elle n’accorde pas de valeur à l’argent, en d’autres mots, que AGUST D est une personne pragmatique qui valorise son savoir avant sa richesse.

Ces quelques lignes sont très similaires aux éléments que l’on peut retrouver sans difficulté dans des titres très récents comme « ON« , « Interlude : Shadow » ou encore « Black Swan » : « 나의 바람대로 높게 날고 있는 순간 저 내려쬐는 빛에 더 커진 그림자 Please don’t let me shine Don’t let me down Don’t let me fly / Au moment où je vole aussi haut que je le souhaitais mon ombre croît dans cette explosion de lumière saisissante. S’il te plaît ne me laisse pas briller, ne me laisse pas tomber, ne me laisse pas voler » (INTERLUDE : SHADOW), « Deeper Yeah, I think I’m goin’ deeper […] 내가 뛰어들어갈게 가장 깊은 곳에서 나는 날 봤어 / Plus profond, ouais, je pense que je sombre plus profond […] Je m’y précipiterai, dans les profondeurs les plus abyssales. Je m’y suis vu » (BLACK SWAN), « Look at my feet, look down 날 닮은 그림자 흔들리는 건 이놈인가 아니면 내 작은 발끝인가? / Regarde mes pieds, regarde en bas. Cette ombre me ressemble. Est-ce l’ombre qui chancelle ou est-ce que ce sont mes pieds ? » (ON).

D’une certaine manière, tout cela implique que la dernière bataille entre le roi Yoongi et AGUST D est le parfait reflet de l’éternelle confrontation entre le Persona et le Shadow. Vous voyez, afin que AGUST D ne devienne pas le tyran que le monde veut qu’il devienne il est important de rester dur avec soi-même et de toujours regarder nos agissements avec un œil extérieur, de nous faire face en quelque sorte. Même si Yoongi est à la fois le roi et l’homme du peuple, il comprend que ses aspirations ont ses limites : « 내가 원했던 것 옷옷 다음은 돈돈 다음은 goal goal 이 다음은 도대체 뭐지 / Les vêtements vêtements que je voulais, et puis l’argent argent, Et puis un but but, quelle est la prochaine étape maintenant ? (pause)« , et pour ne pas être dépassé par ses aspirations, il se doit de « tuer » le roi Yoongi au travers du masque des « intouchables ». C’est d’ailleurs peut-être cette partie là, légèrement plus sauvage et indomptable que le reste, que le roi Yoongi a métaphoriquement choisi d’enfermer dans son coffre à riz : la part de lui-même qui représente l’essence même de son art et qui existe afin de donner une voix et un visage à ceux que personne n’entend ou ne remarque.

Lorsque vous atteignez le sommet, il est facile d’oublier là d’où on vient, nos racines, ce qui a fait la personne que nous sommes, mais ce n’est pas le cas de Yoongi : « 빛이나 빛이나 내 왕관이 빛이나 잊지마 잊지마 지난 날을 잊지마 / Elle brille brille, ma couronne brille. N’oublie pas, n’oublie pas, n’oublie pas les jours passés ». A la fin du MV donc, AGUST D tire sur le roi Yoongi à l’aide d’un revolver très spécifique : il s’agit d’un Hwaseung-Chong provenant de l’ère Joseon représentant, on l’imagine, les ARMYs. Cela n’implique pas seulement que le fandom du groupe est sa meilleure arme contre ses ennemis, mais également que le fandom est la raison qui lui permet de rester humble malgré sa popularité : vous réduisez à néant les haters et lui permettez de garder les pieds sur Terre, les deux talons bien encrés dans la réalité.

Je terminerais ce génie derrière déjà bien fourni en vous disant que le fait que AGUST D soit celui rappant « 대취타 대취타 자 울려라 대취타 » peut ici être entendue comme une sorte d’annonce, car si cette musique traditionnelle est jouée en la présence des rois et empereurs de la dynastie Joseon, le fait que AGUST D soit celui la rappant signifie tout simplement que le vrai roi, c’est lui. Idée soulignée par la présence d’une clef en corallium, ou corail rouge en français, très prisé et utilisé dans la joaillerie, surmontée d’un porte-clef en jade, l’une des pierres les plus précieuses à l’époque de la dynastie Joseon symbolisant la richesse, la sagesse et la douceur. ‘DAECHWITA‘ est un rappel, un rappel que c’est dans le genre d’environnement décrit par le titre qu’il a commencé sa montée en puissance et qu’aujourd’hui, il fait parti de ces personnes s’affairant à démolir le système, mais également un avertissement qu’il possède en tant qu’artiste la résilience et la force de traverser toutes ces épreuves, de passer du statut d’esclave, à celui de Roi avec un grand R.

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C’est tout pour moi les Gimbaps, j’espère que cet article vous aura plu. Si c’est le cas n’hésitez pas à me le dire en commentaire, je serais ravie d’échanger avec vous ! Je vous dis à très bientôt pour un nouveau numéro qui, je l’espère, sortira rapidement. Sur ce les Gimbaps, Spread Love mais toujours avec vos masques et les distances de sécurité !